A la recherche des KPIs du community manager

Au commencement du monde, tout était abstrait. Le ciel nous tombait sur la tête, des dieux vivaient dans le ciel, et on lisait l’avenir dans les entrailles. Puis, au gré des pommes tombées et des Eureka, les mathématiques sont venues nous expliquer les choses abstraites à tel point que l’on peut désormais calculer la chute parfaite pour qu’un petit robot explore une comète à des milliards de kilomètres de la terre

Depuis, notre désir de tout compter, de tout évaluer, et de tout chiffrer n’a cessé de grandir. Le but ? Rationaliser tout ce qui ne l’est pas.

De plus, avec l’arrivée de la crise, la comptabilité a pris une importance grandissante : il faut économiser à tous les niveaux. Le marketing n’y échappe pas entre OTS, GRP, et taux d’awareness. Du coup, quand les réseaux sociaux ont débarqué, il a fallu justifier son utilisation au sein des décideurs. S’en est suivi un éternel débat : quel est le ROI des réseaux sociaux ?

D’abord est née la théorie RONI ( Return on no investment) qui stipulait que les réseaux sociaux n’étaient pas à propos de ce qu’on avait à gagner, mais à propos de ce qu’on allait perdre si on ne le faisait pas.

Puis, petit à petit, des KPIS sont arrivés et paraissaient standardisés. Ces différents KPI montreraient donc le succès d’une stratégie social media. A travers l’histoire, on a eu différentes tendances pour lesquels je vais vous fournir de nombreuses astuces pour profiter de la naïveté des décideurs pour lesquels vous travaillez.

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Crédit photo @sachaLBD

Des KPIs bancals

1. Nombre de followers, et fans.
Au début, le Graal, c’était le nombre de fans. Il fallait avoir une audience. La course aux fans étaient engagée. Les dérives sont rapidement arrivées comme l’affaire Orangina.
L’astuce du chef :
Vous êtes en fin de mois et vous devez bientôt remettre votre reporting mensuel. Stupeur, vous n’avez gagné qu’un faible nombre de fans. Vous avez désormais très peur que votre client ou chef vous dise que vous n’avez pas bien travaillé ce mois-ci. N’ayez crainte, comme il s’agit du plus vieux KPI, les astuces pour flouer les petits ignorants sont nombreuses.
  • L’astuce du pauvre : créer vous-mêmes de faux profils pour augmenter fictivement votre nombre de fans/followers. De plus, si vous travaillez en freelance, vous pourrez les recycler pour l’ensemble des clients.
  • L’astuce milieu de gamme : taper « acheter des followers » sur Google. Sortir sa carte de crédit afin de payer de vraies personnes localisées dans les pays pauvres. Vous ferez en plus une oeuvre de bienfaisance.
  • L’astuce haut de gamme : vous avez de l’éthique, mais vous tenez absolument à augmenter votre nombre de fans. Vous êtes tellement intelligent que vous décidez de monter un concours afin de choper des fans et followers que vous qualifierez de « qualifié » devant votre client. Pour le concours, le like-gating est désormais interdit, il vous faudra donc rivaliser d’ingéniosité , en trouvant des astuces.  ( obligation dans le règlement d’être fan, ou autres filouteries)
    C’est d’ailleurs incroyable que Facebook s’immisce autant dans nos business en nous coupant de nos communautés de fans de concours.
Pourquoi ça ne vaut rien
Parce qu’un fan c’est bien, ça fait du GRP, ça fait de l’impression, mais s’il n’en a rien à foutre de vos produits, il ne sert à rien. Que cela soit des faux profils ou des profils chopés par des concours, cela n’a aucun sens. Evacuons directement les concouristes qui ne sont là que pour choper les lots afin de s’en vanter sur leur forum. Si une personne a besoin d’un concours pour devenir  fan ou follower, c’est qu’il n’était pas convaincu de votre ligne éditoriale.  Avec l’arrivée du Edge Rank, les petites communautés sont un meilleur choix.Le KPI du nombre de fans n’est donc pas bon. Il l’est encore moins pour vous comparer avec vos concurrents. Qu’importe la taille, ce qui compte, c’est la façon dont on s’en sert.

2. L’engagement

Puis, petit à petit, il fallait bannir la course aux fans. Les plus optimistes diront que c’est parce que les community managers se sont rendus comptes de leurs errements ; les plus pessimistes diront que c’est parce qu’ils avaient atteint le nombre de like maximum qu’ils pouvaient atteindre. Soit, il fallait désormais non plus réunir le plus de fans mais montrer qu’ils avaient bien reçu le message. Dès lors, le taux d’engagement est devenu le Graal. Il fallait engager le public, qu’importe que vous soyez une marque B To B hyper technique ou une marque de yaourt. Le like, le share, le retweet, et le favori sont devenus le signal attendu par toutes les marques.

L’astuce du chef :

Vous êtes en fin de mois et vous devez bientôt remettre votre reporting mensuel. Stupeur, vous n’avez gagné qu’un faible taux d’engagement. Vous avez désormais très peur que votre client ou chef vous dise que vous n’avez pas bien travaillé ce mois-ci. Pas de souci, tout le monde est dans le cas.

  • La blague du chef : cela consiste à aller sur 4chan ou Reddit afin de prendre des photos « lol » et trouver un rapport avec la marque. Si vous n’avez pas d’idée, le début ou la fin de la semaine est une solution.

  • Le piège à con : les gens sur les réseaux sociaux sont parfois idiots. Exploiter cette naïveté est une technique que seuls les bons community manager savent manier avec habilité. ( Astuce dont je n’ai plus retrouvé le screenshoot : lancer un concours en disant que le dernier qui poste a gagné. Vous verrez alors un flot de posts continuel jusqu’au moment de seuil où ils comprendront qu’on se fout d’eux.)

Burker King RS CONS

  • La solution offensive: vous êtes dans la merde jusqu’au cou, il vous faut bien plus que quelques likes ou retweets. Autant jouer directement le tout pour le tout.

  • Recycler:  vous avez vu qu’un compte ou une blague fonctionne à plein régime. Exploitez la chose :

Beschellrelle SFR

Pourquoi ça ne vaut rien
BuzziParce que les gens ne s’engagent qu’avec du LOL ou du superflu. Dans les différents exemples, les messages ne servent pas la marque , ils servent les statistiques.  On ne sert pas les objectifs de marque, on sert les objectifs de communication. De plus, on se force tous à faire la même chose. Corollaire de cette recherche d’engagement, le nombre de marques qui se déclarent « décalées » a augmenté crescendo au fil des années.

3. Le reach

Là où nous en sommes actuellement. Avec la baisse du taux de reach sur Facebook, il ne se passe pas un jour sans que l’on assiste sur les forums de community managers aux traditionnelles comparaisons :

  • « J’ai 9% de reach »
  • « Seulement ? Moi j’en ai 12 »
  • « Ah bah vous êtes chanceux, j’ai eu 3% la semaine passée » 

 Le reach est une sorte de mixe entre les deux qui calculent le succès du message en terme d’impressions. Or, là où les publicités sont taillées pour porter un message fort afin de remplir un objectif, les prises de parole sur les réseaux sociaux sont rarement autant équilibrées. Du coup, on se retrouve à additionner des pommes et des poires ; la blague du vendredi soir se retrouve ajoutée au message corporate et le concours du mois se retrouve associé au lancement d’un nouveau produit.

 Etant donné qu’il est le mix des deux, les astuces sont les mêmes.

Conclusions

Si on a tous les mêmes objectifs de KPI, on fait tous la même chose

Le problème actuel n’est pas que l’on utilise ces différents KPIs. Le problème est que l’on a un schéma comme celui-ci :

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Normalement, on a des objectifs marketing. Sur base de ceux-ci, on établit le plan de communication que l’on évalue via des KPIs. Or, ici on part des indicateurs de succès (il faut de l’engagement, il faut du reach) pour établir le plan de communication et tenter de le faire coller aux objectifs marketing. En partant des KPIs, on arrive donc à avoir des stratégies qui sont toutes similaires : faire du LOL, coller à l’actualité ( et si possible en faisant du LOL) , et faire de l’image avant tout.

De plus, il faut que la stratégie social media serve les objectifs mis en place : la remontée d’image, l’augmentation des ventes, la meilleure perception de la relation client, etc.

Pour la fin d’un community manager juge et partie

On le voit donc, le community manager a l’opportunité de trafiquer toutes les données qui servent à prouver la réussite de ses actions. Parce que souvent, le client ou le directeur marketing du community manager ne s’y connaît pas du tout en réseaux sociaux, il ne voit pas la même chose que nous. Là où les gens voient un réseau social, les community managers voient un dashboard, les décideurs des courbes et Zuckerberg une masse de pognon.

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Du coup, tant que les courbes continuent à être montantes, tout va bien. Or celles-ci peuvent être tronquées comme les nombreux exemples le montrent. Il est donc nécessaire que le community manager ne soit pas juge et partie. Il est nécessaire qu’une autre personne, extérieure ou intérieure, soit responsable des reporting et de l’évaluation de la stratégie.

Pour une vision RP des réseaux sociaux

J’avais déjà plaidé pour une approche RP des réseaux sociaux, et je le pense toujours. Les réseaux sociaux peuvent être utiles dans une stratégie marketing mais en tant qu’arme de guerre chirurgicale, à l’aide de campagnes ultra ciblées. Ils ne sont par contre pas une machine à impressions, exceptions faites de certaines marques très spécifiques qui ont su prendre le train en marche. Le reach ne cesse de baisser et il baissera de plus en plus : c’est la raison pour laquelle il faut récolter des relations plutôt que des impressions.

 

S’il est toujours bon de monitorer certains chiffres, je réitère cette pensée lancée durant l’été dans l’espoir que l’on quitte les visions à court terme pour adopter une vision à long terme : « ce désir de pouvoir compter à tout moment le succès de sa communication via des indicateurs faciles à monitorer revient finalement à se balader en permanence avec un électrocardiogramme pour savoir si son cœur bat, alors qu’il suffit de se laisser guider par les battements de celui-ci, à l’instar des valeurs de marque qui devraient être les seuls guides des entreprises. » 

Credit photo 1 : @sachaLBD

A propos de l'auteur

Nicolas Vanderbiest

Nicolas Vanderbiest  (10 articles)

Nicolas Vanderbiest est assistant et doctorant à l'Université Catholique de Louvain sur les crises de réputation des organisations sur le World Wide Web. Il tient un blog sur le sujet (www.reputatiolab.com) et publie les mémoires des crises 2.0, un observatoire qui reprend statistiquement toutes les crises 2.0 qui ont eu un écho sur la scène médiatique francophone depuis 2004.

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