L’approche publicitaire traditionnelle fonctionne mal sur le social média et sur Facebook en particulier.
Alors que dans l’économie traditionnelle des mass média, le métier d’un bon publicitaire est de créer des slogans efficaces, les adapter aux formats des médias, et de laisser les médias faire le reste – c’est à dire : créer du contenu, captiver l’audience et la fidéliser – Facebook bouleverse ce partage des rôles. Sur leurs pages fans, il ne suffit plus aux marques de trouver « le bon slogan » ou « la bonne idée ». C’est désormais aux marques de créer du contenu qui leur ressemble et qui pourra fédérer leur communauté. La communication devient « sociale ».
Contrairement au « slogan », une communication « sociale » cherche à enrichir l’interlocuteur plutôt qu’à le convaincre, à interagir plutôt qu’à promouvoir, à valoriser plutôt qu’à imposer, et pose en pré-requis la question de la valeur de la relation sociale : que puis-je, en tant que marque, apporter à mes fans ? Que va leur apporter notre relation sur la durée ?
Pour réfléchir à ces questions, il faut se souvenir que Facebook est un lieu de partage d’identité, qui met tous ses membres sur le même plan : les individus, leur famille, leurs amis, les jeunes, les vieux, les marques, les musées, les institutions et même les lieux. Chacun vient partager avec les autres ses idées, ses envies, ses tranches de vie, bref, confronter et enrichir son identité numérique au contact des autres (voir à ce sujet l’excellent livre de Vincenzo Susca, ainsi qu’un modeste article critique de votre serviteur).
Pour communiquer sur Facebook, une marque n’a donc pas d’autre choix que de jouer ce jeu là, et se mettre humblement à leur portée. Sur Facebook, la marque doit se personnifier, parler « comme tout le monde », être honnête et sympathique, et considérer ses fans comme de vrais gens. On est donc bien loin du cynisme de Mr Le Lay expliquant que le métier de la télévision était de « vendre du temps de cerveau disponible ». Sur Facebook, vos fans ne sont pas disponibles, et seront attentifs à la valeur de la relation créée avec vous.
Créer de la valeur : quésako ?
Lorsque l’on est une marque dans la jungle du social média, il y a 3 types de valeurs que l’on peut partager avec ses fans :
-> De la valeur marchande
-> De la valeur expérientielle
-> De la valeur sociale
Petite question : pourquoi est-ce que vous préférez un bar plutôt qu’un autre ?
1) Parce que la bière y est toujours moins chère (valeur marchande) ?
2) Parce que l’ambiance y est toujours sympa (valeur expérientielle) ?
3) Ou bien parce qu’on y récupère de bons ragots à raconter aux copains (valeur sociale) ?
Sur le long terme, vous préférerez probablement le bar qui propose les 3… ! C’est à mon avis ce à quoi devraient tendre les marques sur Facebook.
Voyons en détail comment se matérialisent ces différentes formes de valeurs.
La valeur marchande
Offrir de la valeur « marchande » aux visiteurs et aux clients fidèles est traditionnellement associée aux métiers de la promotion des ventes : des réductions, des coupons, des cadeaux, des bons plans, bref, tout ce qui impacte positivement le panier de la ménagère.
Ca peut vous rendre très sympathique auprès de vos fans, à condition de ne pas le faire n’importe comment. Si vous êtes une marque de chaussures et que vous offrez des iPad à gagner, ça n’est pas forcément une très bonne idée car vous risquez de ne pas fidéliser grand monde. Si votre page fan se transforme en un listing de concours, une boîte à coupons ou à bons plans, vous n’aurez rapidement que des opportunistes, et ça n’est pas vraiment intéressant (sauf bien entendu si c’est ce que vous cherchez…).
Vos fans viennent sur Facebook pour partager et non pour consommer. C’est pourquoi une approche 100% valeur marchande est à manier avec précaution. Ca ne veut pas dire qu’il faut proscrire toute forme de cadeaux, mais plutôt qu’il faut les distribuer de manière personnalisée et affective. Comme dans la promotion des ventes, la scénarisation de la valeur marchande est un élément clé de la réussite.
- Offrir des cadeaux peut se jouer en prémium sur une opération de communication « traditionnelle ». Vous allez réserver des cadeaux supplémentaires ou des goodies particuliers à vos fans, parce qu’ils vous aiment et que vous souhaitez leur montrer qu’ils comptent pour vous.
- Quand vous offrez des cadeaux, utilisez de préférence vos produits ou des gains qui sont vraiment en lien avec vos produits. Rien de pire que de recruter 1 Million de fans venus pour gagner une place au soleil, et dont on ne sait que faire par la suite. Vous pouvez accompagner vos cadeaux du test des produits : « Vous avez gagné un kit de produits ? Donnez-nous votre avis, car il compte pour nous !«
- Offrir des coupons de réduction, OK. C’est très marchand et pas très valorisant. Mais là encore, proposez une offre bien particulière et réservée à vos fans et qui fait du sens pour eux, dans une logique de vente privée ou concernant une gamme de produits spécifiques.
- N’hésitez pas à offrir des cadeaux ayant une valeur symbolique autant que marchande. Une place de cinéma, c’est sympa. Mais une place en avant première d’un film dont vous êtes partenaire, ça c’est du prémium pour vos fans ! Ou alors des produits dérivés de marque, qui peuvent jouer un rôle identitaire, propre à Facebook (« Vous avez gagné une casquette Digibonus : photographiez-vous avec et postez la photo sur notre wall »)
La valeur expérientielle
Toute l’activité du community manager est tournée vers la création d’une valeur d’« expérience » avec les fans : comment accueillir les fans, comment entretenir le lien, comment être « cool » et « sympa », comment créer de l’émotion pour leur donner envie de revenir. Le rôle du community manager est clé. C’est lui qui détermine « l’ambiance » de la page fan en personnalisant le discours de la marque (c’est le tenancier du bar).
Il y a une vaste gamme de valeurs expérientielles que vous pouvez créer et partager avec vos fans, et le but n’est pas de les citer tous, mais d’insister d’abord sur la notion d’honnêteté.
- Créer de l’émotion de manière forcée, c’est dangereux et ça se voit ! Si vous n’êtes pas en ligne avec vos propres valeurs de marque, ça se voit aussi. Attention au bad buzz…
- Si vous ne parlez pas « normalement » aux fans, vous allez finir par lasser (par pitié, il ne suffit pas de mettre des points d’exclamation !!! et un smiley 🙂 à la fin de chaque phrase pour être « cool » !!!!! ;-))
Donc partagez des moments sympas avec vos fans, oui, mais le plus difficile est de le faire avec sincérité. Quelques exemples de valeur « expérientielle » que vous pouvez partager sur Facebook :
- De la détente : Faire passer un bon moment sans forcément chercher à faire rire. Partager la news insolite. Poser une question ou proposer un quiz rigolo. Bref : 5 minutes de détente à la machine à café virtuelle qu’on appelle Facebook
- De l’information : Faire passer un message sur une thématique particulière. Qu’est-ce qui se passe près de chez vous ? Saviez-vous que…? Bref : 5 minutes d’intérêt partagé, et en plus on peut apprendre des choses.
- De l’éducation : Vouloir faire grandir ses fans ou vouloir valoriser leur expertise. Vous êtes un expert du bon vin ? Connaissez-vous Barcelone ? Faites leur découvrir toutes sortes de choses nouvelles et sympathiques.
- De l’introspection : Hep, mais vous êtes qui au fait ?? Parlez-nous de vous ! Répondez à ces quelques questions, découvrez qui vous êtes, racontez-nous votre plus bel anniversaire… Là on est dans le pur lien social.
- De la participation : Donnez-nous votre avis et vos suggestions sur… Votre avis nous intéresse ! Remplissez la boîte à idées. Dessinez-nous le produit de vos rêves. Comment demander à vos fans ce qu’ils pensent de vous.
- Du conseil : La vie est dure et vous avez 2, 3 idées sur le sujet. Tout l’univers de la recette, de la bonne idée et des trucs et astuces. L’univers du pratique. 5 minutes pour se simplifier la vie, ça vaut le coup.
- Du service : Vous avez un problème ? Pas de panique, on va s’en occuper et on va vous expliquer. Dans un bar, rien de tel qu’un serveur vraiment attentionné.
Les thématiques que l’on retrouve ici sont souvent proches des catégories des média traditionnels. Pour faire vivre une émotion aux fans, c’est souvent leur raconter une histoire. Et c’est ce que font très bien les médias.
La valeur sociale
La valeur « sociale » est la valeur la plus originale que nous apporte le social média, et qui reste à mon avis la plus riche à explorer. Offrir de la valeur « sociale » sur Facebook, c’est enrichir l’identité numérique de vos fans en leur donnant des raisons d’en être fiers et de la partager avec leurs amis. Comment pouvez-vous valoriser vos fans ? Quel intérêt social peuvent-ils tirer de votre rencontre ?
Certaines marques n’ont pas attendu Facebook pour être communautaires : Ferrari (5M de fans), Lacoste (6.5M de fans), Louis Vuitton (3.2M de fans), etc. La reconnaissance sociale est dans leur ADN de marque, et Facebook leur va comme un gant. D’autres marques n’ont pas cette chance, et s’approprient directement des causes larges et consensuelles pour apporter de la valeur sociale au simple fait de liker la page. Bongrain adoptera la cause du « goût » sur ses 3 pages fans, et permet ainsi à ses membres de valoriser auprès de leur propre communauté leur intérêt pour ce sujet.
Et dans la durée, valoriser ses fans c’est leur donner une vision positive d’eux-mêmes, qu’ils auront plaisir à partager avec leur propre communauté, et ce avec d’autant plus de facilité que vous êtes vous-même un expert du domaine. Si vous êtes une marque de vêtements branchés, vous pourrez légitimement vous extasier devant la connaissance intime de la mode de certains de vos fans, voire attribuer à certains de vos fans le titre envié de « Super Experte de la Mode », voire leur remettre un diplôme virtuel, etc. La valorisation de l’identité personnelle se matérialise par tout ce qui peut se partage sur Facebook comme un morceau d’identité : post, image, photo, vidéo, badge, virtual good, etc.
C’est en poussant à l’extrême le concept de valorisation sociale qu’est né celui de la « gamification« , approche industrielle de la création de valeur sociale par des récompenses symboliques : goodies virtuels, blasons à collectionner, etc. qui viennent enrichir le profil des fans. Avec le risque de tomber dans l’excès de gamification. Certains procédés ont été ouvertement critiqués pour leur manque total d’intérêt et leur côté mécanique et artificiel (Comme « Click the cow », critique acerbe de la gamification à outrance).
Mais lorsqu’elles sont mises en oeuvre avec pertinence, les mécaniques de gamification peuvent être extrêmement gratifiante pour vos fans.
Apporter de la valeur sociale à vos fans, c’est par exemple :
- Enrichir leur profil en leur permettant d’ajouter un élément personnalisé : Disneyland Paris permet à ses fans d’ajouter un badge à son profil Facebook : badge Cars, Disneyland, Mickey, etc. (d’ailleurs j’en ai un sur mon profil FB dont je suis très fier)
- Leur permettre d’envoyer des cadeaux virtuels à leurs amis : des cartes, des photos sympas, des marques d’attention.
- Valoriser leur niveau d’expertise ou leur participation : « nous vous décernons le titre de grande experte de la mode »
- Valoriser leurs qualités : « vous êtes un super papa », « 20/20 ? Vous êtes au top sur la sécurité routière », …
- Valoriser leurs défauts : « Aïe…Vous êtes une fashion addict », « votre péché mignon ? la gourmandise » …
- Les associer à des figures stars : peoples, super héros, personnages, … « L’acteur qui vous ressemble le plus : Brad Pitt »
Et caetera… On le voit, les possibilités sont vastes du côté de la valeur sociale, aussi vaste que l’identité virtuelle, beaucoup plus libérée et multiforme que l’identité réelle. Ce n’est pas un hasard si le casual gaming est le marché qui a explosé le plus rapidement sur Facebook : créer sa ferme et y inviter ses amis, voilà un moyen de se valoriser et de montrer à tous qu’on est un fermier qui a du talent.
En conclusion
Facebook impose donc absolument, inévitablement et durablement une nouvelle forme de communication entre les marques et les « gens » (et je dis les « gens » car il ne s’agit plus de « cibles » ni de « prospects ») : une communication « sociale », non marchande et porteuse de valeurs, et en particulier de valeurs identitaires. Certains pousseront sans doute des cris d’effroi en y voyant là une nouvelle atteinte à la vie privée et un nouvel envahissement des marques, jusque dans notre cercle d’amis et dans notre identité propre. C’est peut-être vrai, mais je ne peux m’empêcher de penser que 1) les marques font déjà partie de notre identité, et Facebook ne fait que matérialiser cet état de fait dans l’univers numérique , et 2) la communication « sociale » est probablement préférable à d’autres formes de communication publicitaires plus agressives et moins… « humanistes ». Il nous sera probablement aussi naturel demain de parler à une marque sur Facebook que de parler à nos propres amis.
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