Injures et diffamations sur les réseaux sociaux : attention danger !

Les réseaux ne sont pas un monde à part comme on voudrait le croire parfois. Le récent jugement du Conseil des Prud’hommes de Boulogne-Billancourt déclarant fondé le licenciement de trois salariés qui avaient dénigré leur employeur sur leur mur Facebook est là pour nous le rappeler.

Certes une liberté fondamentale existe : la liberté d’expression. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen nous indique en effet que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». Rien de moins ! Est-ce à dire que l’on peut tout écrire en s’abritant sous le glorieux parapluie de cet article 11 de la déclaration ? Que nenni, même si comme nous le verrons, l’expression est bien protégée en France.


Martine Aubriot est-elle une imbécile ?

Appelons la Cour de cassation à la rescousse pour définir la diffamation. La diffamation est « L’allégation ou l’imputation d’un fait précis et déterminé, portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée, entre dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation« . Cette interprétation extensive des juges permet ainsi d’inclure dans le champ de la diffamation le dessin ou la photographie, ce que n’avaient pas a priori prévu en 1881 les rédacteurs de la loi sur la liberté de la presse.

La loi de 1881 définit les injures comme étant des « expressions outrageantes, termes du mépris ou invectives« .

Précisons d’abord qu’il faut nommer la personne pour qu’elle puisse s’estimer diffamée ou injuriée. La phrase « Nicolas Marcosi a volé à sa vieille mère la somme de 10 000 euros » entre clairement dans le champ de la diffamation. De même, la phrase « Martine Aubriot est une imbécile » est une injure.

Lorsque la personne est ainsi nommément citée, il est simple d’engager des poursuites contre l’auteur des propos.

Il en va différemment lorsqu’on procède par allusion, sans citer nommément l’intéressé, en utilisant des initiales par exemple ou en indiquant des éléments permettant d’identifier la personne. C’est ainsi que la phrase « Ce dentiste bien connu de la ville de Dijon, dont je ne citerai pas le nom, mais qui travaille à l’angle des rues Soufflot et Pompidou, est un piètre professionnel » est clairement diffamatoire. L’artifice rédactionnel de l’allusion, peu habile ici, ne fera pas illusion, puisqu’il serait aisé d’identifier le dentiste en question.

Mais pour rester sur la question des dentistes, contre lesquels je n’ai aucune dent, Dieu m’en garde, la chose peut s’avérer plus complexe. La phrase « Il est clair qu’aujourd’hui la pratique médicale des dentistes français est douteuse » présente un caractère diffamatoire et pourrait ouvrir la voie à une procédure de la part d’un dentiste s’estimant diffamé ou de la part, pourquoi pas, de l’Ordre national des chirurgiens dentistes.

C’est peut-être sur ce plan que le rédacteur doit être le plus prudent. En effet, rarement un rédacteur est tenté de diffamer ou d’injurier directement une personne, mais à l’inverse la généralisation outrancière à laquelle nous nous adonnons parfois autour d’un repas, peut conduire à des développements ravageurs si elle est utilisée dans un texte. La prudence rédactionnelle s’impose !

Mon profil Facebook est privé, je dis ce que je veux… T’es sûr ?

C’est la grande question ! Traiter son employeur de crétin un soir à la maison auprès de son épouse ne prête pas vraiment à conséquence. La chose devient plus délicate lorsqu’il s’agit de deux salariées qui s’expriment ainsi dans un bar entre midi et deux, sans se rendre compte que leur employeur est installé à la table d’à côté, caché par un rideau de plantes (en l’espèce, car l’affaire est risiblement vraie, la Cour de cassation a reconnu la validité du licenciement).

Transposons-nous sur internet. Rien de bien différent finalement. Si je diffame ou j’insulte une personne dans le corps d’un mail, pas de problème à priori. Si je le fais sur un mur Facebook et que ce mur Facebook n’est accessible qu’à quelques membres de ma famille, le caractère privé des propos sera là encore à priori conservé. En revanche si mon profil Facebook est ouvert à plusieurs centaines de contacts, il est clair que le caractère privé des propos n’est plus conservé.

Plus subtil est le cas d’un propos tenu sur un mur Facebook bien protégé en terme de confidentialité, mais repris par un ami grâce à la fonction « Partager ». Cette fonction « Partager » peut conduire le propos à se diffuser au sein de cercles hors de tout contrôle.

En fait, quelle est la différence entre des propos publics et des propos privés ? La Cour de cassation a répondu dans un arrêt de 1995 : les propos sont publics lorsqu’ils sont adressés à « diverses personnes qui ne sont pas liées par une communauté d’intérêt« .

Toute la question repose sur ce que l’on va appeler une communauté d’intérêt. Est-ce que les amis de mon profil Facebook sont liés par une communauté d’intérêt ? L’évidence semble apporter une réponse négative. Dès lors il semble difficile, en tout cas en droit, de considérer un profil Facebook comme un espace privé. Prudence par conséquent encore concernant les propos tenus sur un mur Facebook.

Injure et diffamation dans un commentaire, prison au tournant !

Nous venons de voir ce qui se passe dans les cas de diffamation et d’injures par l’auteur d’un texte. Mais il faut aussi examiner ce qui se passe lorsque les propos injurieux ou diffamatoires sont tenus dans un commentaire.

Nous partons bien sûr du postulat que tout community manager possède suffisamment de bon sens et de professionnalisme pour ne pas diffamer et injurier à tout va. Mais qu’en sera-t-il des commentaires laissés sur un blog ou sur un profil Facebook sous une information anodine ? D’autant plus que les internautes ont parfois tendance à se lâcher, sous couvert d’anonymat. Les community manager de Gap ou de Marie-Claire ont pu en éprouver les désagréments dans deux dossiers qui feront date dans la longue histoire, et sans doute inachevée, des communications d’entreprise ratées.

Nul besoin de tergiverser : les commentaires font partie intégrante d’un blog, d’un mur Facebook ou d’une page Facebook. Ils sont indissociables du contenu rédigé et publié par l’auteur. L’auteur d’un blog ou le titulaire d’un profil Facebook est donc responsable des propos tenus sur l’espace qu’il administre. Point final !

Récemment, à l’occasion du dramatique incendie du foyer Sonacotra à Dijon, l’un de mes amis avait publié sur son profil Facebook un lien avec un article de presse relatant l’événement. Quelques commentaires ont été publiés sous ce lien dont l’un d’entre eux qui est resté une dizaine d’heures, le dimanche suivant le drame : « La couleur de peau des victimes ne va pas nous faire pleurer« . Commentaire tristement ignoble, et pas une seconde partagé par cet ami, mais qui aurait pu lui valoir pendant cette dizaine d’heures d’être poursuivi pour injure raciste. La prudence, comme vous le voyez, continue de s’imposer !

Procédure… il faut faire vite, très vite !

Allons ne vous enfuyez pas, je resterai très simple. Je ne vous proposerai pas une plongée en apnée dans les abysses de la procédure pénale et civile. Mais dans le domaine de la diffamation et de l’injure, connaître quelques éléments de  procédure ne fera pas de mal. Vous allez rapidement comprendre pourquoi.

Je rappellerai au plus débutant de la chose juridique que notre droit a prévu des délais de prescription. Il s’agit de délais au-delà desquels il n’est plus possible d’engager des poursuites.

Or, dans le domaine de la diffamation et de l’injure, le délai de prescription est extrêmement court : trois mois !

Autant dire que la personne diffamée a tout intérêt à bondir sur son téléphone pour prendre rendez-vous avec son avocat dès qu’elle a connaissance des propos tenus à son encontre. Trois mois cela passe très vite, d’autant plus que nous sommes là face à une procédure qui doit être menée par le demandeur avec davantage d’attention qu’une procédure judiciaire classique. En effet, la poursuite doit s’appuyer sur un formalisme très strict que je ne détaillerai pas ici.

Pour terminer, j’indiquerai que l’auteur d’un propos diffamatoire peut s’abriter derrière la notion de bonne foi pour s’exonérer de sa responsabilité. Il doit alors mettre en avant la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression, ainsi que la qualité de son enquête. Attention toutefois, cette notion de bonne foi concerne un journaliste et son directeur de la publication. Elle ne saurait a priori concerner le particulier qui tient des propos diffamatoires sur son blog.

A propos de l'auteur

Eric Nicolier

Eric Nicolier

Je m'intéresse aux réseaux sociaux et internet sous l'angle juridique (enseignant et formateur en droit depuis 15 ans)… mais aussi sous l'angle rédactionnel. Ma passion de l'écriture et de la phrase bien construite ne pouvait que se confronter à l'écriture web… A ce titre je collabore régulièrement à l'écriture de contenus sur internet, tout en assurant aussi des formations dans le domaine rédactionnel…

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