Au coeur du Social Media: « SoMe » une abréviation qui dit tout

« Dans la publicité… »

Il est des métiers au sein desquels on adore les abréviations. Le milieu de la communication en fait partie : il faut nous excuser, sans ce travail sur les mots et les concepts, nous risquerions de nous faire comprendre !

C’est ainsi qu’un jour, au détour d’un brain (on aime aussi les anglicismes élidés) avec Guillaume Audureau, alors que nous cherchions à écrire rapidement « Social Media », nous sommes tombés sur le terme « SoMe ». Il nous a semblé que le jeu de mot dépassait la blague d’agence et nous nous sommes mis à l’utiliser dans nos présentations. Cela s’est révélé être un très bon outil pour expliquer combien l’ego, le « moi je », le besoin de reconnaissance et de lien social étaient prégnant sur Internet. Au point d’en façonner le visage du Web durablement.

Pourquoi se dévoile-t-on pour toujours?

Car, au fond, à mon sens, ce qu’il y a de plus difficile dès lors qu’il s‘agit d’expliquer les médias sociaux et leur impact sur la chose sociale au sens large, a fortiori à des dirigeants marketing au sujet de leur marque, c’est peut-être le pourquoi de tout ceci : qu’est ce qui pousse la plupart des individus de la génération Y à poster des  contenus plus ou moins personnels sur la Toile, tout en sachant qu’ils  resteront gravés dans le Web comme un tatouage sur la peau ?

On peut rejoindre les thèses de Soudoplatoff, et se pencher sur la collaboration horizontale, la passion de la mise à disposition au plus grand nombre, l’altruisme de l’anonymat gracieux. On pourrait, oui… Mais avec 1,8 Mds d’humains connectés, on n’en est plus là. Nous sommes dans quelque chose de plus profond, de plus animal, de plus structurel, que l’on voit s’épanouir sur l’ensemble du tissu social digital.

Si l’on se retourne quelques instants, il est possible de distinguer l’effacement progressif d’une valeur qui, pourtant, tendait à structurer des sociétés: le secret. On taisait, usuellement, ce qui nous arrivait de positif pour ne pas attiser les jalousies, nos faiblesses pour ne pas exposer une image dépréciée. On a longtemps appelé cela l’intimité.

Intimité & Extimité

Dès 1969, apparaît chez Lacan une notion nouvelle, l’extimité : ce concept se distingue de l’exhibition en cela qu’il est plus agile, moins froid, plus réactif au regard de l’autre. Les 30 glorieuses occultèrent cette dimension, certainement parce qu’il n’est pas possible de jouir et d’user la planète jusqu’à la lie tout en se regardant faire et s’interroger sur les impacts directs de ce long moment d’inconséquence.

C’est Tisseron, en 2001, qui reprend le concept à son compte. La date de parution de son livre «L’intimité surexposée »  n’a rien d’un hasard : 1 et demi mois après la diffusion du premier épisode de « Loft Story », la première téléréalité française. L’extimité trouve là une illustration très concrète et secoue tout un pays, comme une grippe qui couvait depuis bien longtemps et foudroie son hôte : quelques individus, reflétant, avec un peu de recul, fort précisément la génération en question, qui oublièrent, en quelques heures, ces caméras dont nous dévorâmes, hagards et un peu honteux, les images. Si j’osais, en raison de la proximité chronologique, je dirais que cela se reproduira en Septembre de la même année. Le 11 plus précisément… La même tectonique sourde, la commune certitude que quelque chose de fondamental s’effondrait sous nos yeux, la même sensation que rien ne serait plus comme avant puisqu’on avait osé. TF1 d’une part, Ben Laden de l’autre.

Je ne cherche pas à choquer avec cette comparaison, ni même à m’exprimer sur l’aspect positif ou non de cet effondrement. Mais deux choses sont certaines : d’une, c’est la même torpeur qui nous a tous saisie en ces deux occasions; de deux, les conséquences de ces deux évènements sont au moins aussi importantes, si l’on veut bien regarder les choses au delà de l’insolence de l’analogie. Toutefois, il est impossible à date de savoir ce que signifient ces marqueurs : un sursaut de société qui voit le déclin de son modèle ? L’amorce d’une nouvelle architecture de l’individu parmi ses paires ? Agonie ou redéploiement, personne ne peut le dire, pas même à date.

La tendance s’équilibre et se massifie

Le fait est que le Loft posa les bases d’un rapport entre celui qui se trouve devant la caméra et celui, en tout point ressemblant, qui se poste derrière. A l’époque, ce rapport est assez déséquilibré. Quelques individus en situation d’extimité, des dizaines de millions dans le rôle du voyeur.

Mais voilà : en presque 10 ans, ce déséquilibre a disparu progressivement au travers de au moins 3 mouvements majeurs : Copains d’avant , qui fut au statique ce que Facebook est au dynamique ; les Skyblogs, qui façonnèrent les usages sociaux de toute la Google Gen en France ; puis Facebook qui invita le grand public, seniors compris, à adopter massivement les comportements sociaux en ligne.

Ce qui veut dire qu’à présent, nous sommes dans un équilibre pratiquement parfait : nous créons, chaque jour, notre propre digiréalité, dont nous sommes le héros.  Nous arborons fièrement notre graphe social sur Internet comme une légion d’honneur dans un repas de patrons du CAC . Nous nous surexposons au point de ne pas hésiter à livrer des morceaux d’intime contre 7 clics, 3 like et 1 commentaire.  Doit on rappeler que la proportion de nouveaux nés français ou américains ayant une présence sur la Toile dès leur naissance est gigantesque, que plusieurs milliards de photos sont stockées sur Facebook ?

Temps de cerveau disponible…pour liker

Mais revenons à nos moutons. Ce qu’il y a donc de plus difficile à expliquer à des gens nés avant 1975, c’est la disparition de la valeur « secret/discret », le fait que 20 millions de personnes, dont leurs clients, se vivent dans un permanent egocasting (la mise en scène de son identité sur Internet), qui trouve des relais digitaux dans la vie réelle et vice versa. Si nous n’avions pas cette audience moyenne de 130 amis sur Facebook, nous ne posterions pas le moindre article, pas le moindre statut, pas une photo. Nous faisons tout cela pour le faire savoir et concourir à dessiner notre identité digitale de façon à la rendre la plus attractive possible.

Si l’on admet pas que l’équation sociale de la Google Gen n’est pas la même que la précédente, on ne peut pas comprendre les règles nouvelles qui régissent à présent l’attention des gens, le fameux temps de cerveau disponible, la Graal marketing.

Le personnal branding, qui est aujourd’hui le fait de quelques dizaines de milliers d’individus tout au plus, deviendra rapidement un comportement de masse.

On en devine même le point de bascule : quand, à la manière des nombreux Twitter Insight, Facebook sortira son propre outil de décryptage du « moi je » numérique, quand nous connaitrons l’exact impact de chaque publication sur ce réseau, quand nous saurons précisément qui vient nous lire, à quelle fréquence et ce qu’il en fait, quand le parcours de nos posts sur la Toile sera tout à fait net, alors, nous entamerons le dernier mouvement : celui de la confusion définitive des identités IRL/URL.

Avec une différence majeure, dont nous ne connaissons absolument pas les conséquences : l’espace public IRL à la mémoire d’un poisson rouge. Celle du Web promet l’éternité.

A propos de l'auteur

Alexis Thobellem

Alexis Thobellem

Directeur Conseil Social Media chez Noyz Isobar. Auteur sur Mashable France. Chez, Noyz, nous gérons la présence de grandes marques sur les surfaces communautaires et imaginons avec elles des dispositifs "Social" & "Médias". Nous sommes une équipe de 17 personnes constituée de community managers, de chargés d'étude, de producteurs social media, de responsables commerciaux. Plus personnellement, je travaille dans la gestion de communauté depuis 2002. Après un passage dans le mobile, je rentre chez BETC Digital, y créé le département Social Media, qui gérera quelques mois plus tard la campagne des "Evian Roller Babies", et rejoins Noyz au Printemps 2010. Trois axes d'observation m'intéressent principalement: - la pénétration du "Social Media" dans le monde réel: IRL/URL - les Social Media Tools - l'étude des Buzz

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