Les collectivités à l’assaut des médias sociaux

La liberté guidant le peuple de Eugène Delacroix

La croissance des collectivités présentes sur les médias sociaux est très difficile à jauger, mais il est clair qu’elles se multiplient et que l’usage de ces nouveaux médias devient de plus en plus mature.

Dans cet article, nous allons nous appuyer sur l’exemple du conseil général de la Vienne. Ils ont débuté sur les médias sociaux durant l’été 2010 avec la création d’une page Facebook. L’évolution de leur présence en ligne est une bonne illustration des progrès actuels des collectivités sur les médias sociaux.

On est à la fin d’une période d’apprentissage et on commence à entrevoir de vraies stratégies de communication en ligne, ne se limitant pas à une présence passive sur Facebook.

Les collectivités ne peuvent plus négliger les médias sociaux

Il y a une réelle prise de conscience qu’il ne faut pas passer à côté des nouveaux médias… On est en plein dans les usages et les pratiques des internautes.

Sur la forme

Il s’agit de :

  • donner une image jeune et dynamique ;
  • montrer que l’on se rend là où les gens sont pour tenter de recréer du lien ;
  • toucher un public peu réceptif aux supports de communication traditionnels.

Cette liste est naturellement incomplète, les avantages peuvent être multiples.

Sur les chiffres

On vient d’avoir quelques chiffres français pour Twitter, mais le réseau social qui fait figure d’indispensable dans une stratégie de communication en ligne reste Facebook. Les chiffres sont très impressionnants… Si l’on croise les chiffres annoncés par Facebook et quelques chiffres de l’Insee et de Médiamétrie cela nous fait :

  • 1/3 de la population ;
  • 55% des 20-59 ans ;
  • 2/3 des internautes.

Ces statistiques 100% françaises sont à prendre avec des pincettes car on parle de « comptes » et non d’ « individus ». Même lorsqu’il s’agit de personnes, il faut également prendre en compte la moyenne de temps passé sur le réseau social avant d’y envisager une stratégie. Cette notion peut expliquer pourquoi Google Plus reste en retrait, et ce, même si l’on y trouve un nombre d’utilisateurs impressionnant car le temps moyen passé sur le réseau social est moindre par rapport aux autres.

Pour donner un dernier chiffre intéressant : il y a eu presque un million d’inscription à Facebook sur les six derniers mois. La communication des collectivités peut-elle raisonnablement se passer d’un support regroupant autant d’usagers ?

Sur le fond

Appuyons-nous sur cette belle définition (partielle) de la communication publique de Pierre Zémor (dans « La communication publique » – lu dans « La communication des collectivités locales ») :

La communication publique est la communication formelle qui tend à l’échange et au partage d’informations d’utilité publique ainsi qu’au maintien du lien social.

Certains mots-clefs doivent vous sauter aux yeux : « échange », « partage » et « maintien du lien social ».

Une définition qui semble se marier parfaitement avec les principes et les valeurs des médias sociaux.

Potentiellement, les médias sociaux répondent très efficacement aux trois missions de la communication publique : informer, promouvoir et mobiliser.

L’une des craintes récurrentes exprimées par les collectivités est de perdre le contrôle de l’information, alors que, paradoxalement, ne pas s’y rendre s’apparente à une perte de maitrise de l’information. En effet, il faut prendre conscience d’un paramètre important : qu’une collectivité le souhaite ou non, elle est d’ors et déjà présente sur les médias sociaux (dans les discussions, à travers des pages non-officielles, des blogs locaux).

Cela fait beaucoup d’arguments en faveur des médias sociaux que les dernières collectivités récalcitrantes devraient prendre en compte.

Une dernière bonne raison : le rapport qualité/prix de votre communication. En effet, une communication sur les médias sociaux ne nécessite « que » du temps et des moyens humains.

La naissance d’écosystèmes en ligne

Revenons-en aux progrès des collectivités, elles s’inscrivent de plus en plus dans une vision globale des possibilités offertes par le web et créent de véritables écosystèmes en ligne.

Elles développent de nombreuses présences : Facebook, Twitter, Youtube, Flickr…

Au conseil général de Vienne, l’équipe a commencé par une page Facebook officielle, puis s’est orientée sur la communication vers des publics différents. Le compte Twitter de la collectivité véhicule uniquement des informations de service public, une page Facebook est dédiée au festival estival musical organisé par le conseil général, etc.

Quelques présences en ligne du conseil général de la Vienne

 Petit medley des présences du conseil général de la Vienne sur les médias sociaux

Cette stratégie de communication et cette « thématisation » sont parfaitement expliquées sur une page du site web de la collectivité. On voit qu’on entre dans une véritable démarche réflexive autour de la présence en ligne de la collectivité et la stratégie de la Vienne n’est qu’une parmi d’autres.

La frontière entre le print et le web s’estompe

Dans des services de communication bien ancrés dans le print, il est difficile de s’ouvrir vers de nouveaux modèles. Pourtant, les supports physiques et web doivent s’entraider, abolissant la frontière inutile entre la communication web et la communication traditionnelle : il faut penser les choses dans une globalité.

Une communication en ligne, comme une communication « papier », doit faire l’objet d’une réflexion préalable. La principale erreur des collectivités qui se lancent sur Facebook est d’y aller pour y être et surtout d’y aller pour « voir si ça marche ».

Le problème de la démarche, c’est que sans réflexion préalable et sans relais de la présence sur les médias sociaux ailleurs que sur lesdits médias sociaux, le résultat sera médiocre. On est ainsi tenté de dire : cela ne marche pas et la viralité du web est une vaste blague. Effectivement, c’est sûr, si on ne fait rien pour…

Mais ça, c’était avant…

Vous comprendrez la métaphore !

Désormais, les nouveaux supports travaillent au service des anciens et inversement. On est dans une vision globale de la communication. Ainsi, on retrouve dans les magazines papiers des collectivités la référence aux présences en ligne et inversement.

La reconnaissance de l’intérêt des médias sociaux

A vue de nez, on remarque qu’il y a trois types de communication qui fonctionnent bien pour les collectivités sur les médias sociaux :

  • La communication de crise : gestion des intempéries en live, d’incidents…
  • L’événementiel : les concerts, festivals estivaux, manifestations culturelles…
  • La promotion des acteurs du territoire : exploit d’un habitant, d’une équipe sportive…

Ces types de communication font particulièrement réagir les usagers et on assiste souvent à une co-création ou un « co-enrichissement » de contenus entre le citoyen et la collectivité.

Revenons-en au conseil général de la Vienne. La page dédiée au festival estival musical des Heures Vagabondes est le théâtre de ce type d’émulation collective. Le sujet s’y prête parfaitement puisqu’un événement de cette envergure remplit deux missions de la communication de la collectivité à la fois : promotion du territoire et mobilisation des citoyens…

En ligne, les citoyens laissent des commentaires, partagent photos et vidéos et la collectivité peut demander aux internautes de proposer des artistes pour les prochains concerts… C’est la naissance de belles expériences participatives.

Exemple de démarche participative sur le mur de la page des Heures Vagabondes
Exemple de démarche participative sur le mur de la page des Heures Vagabondes.

Des difficultés persistent

Par contre, le relais des actualités du site web suscite généralement peu d’intérêt, même si la mission d’information de la collectivité peut quand même être remplie, y compris en ligne. Une meilleure éditorialisation des contenus relayés (sur le site ou sur un blog) peut donner un regain d’intérêt pour les actualités de la collectivité.

Les messages que l’on publie sur les médias sociaux sont généralement des bandes annonces vers plus de contenus. Si celui-ci ne contient pas plus d’informations que le titre du message, ça ne marche pas… Il est donc important de faire un petit peu de storytelling (notamment sur un blog).

Dans les difficultés récurrentes, au-delà de l’apprentissage de la concurrence informationnelle, on peut ajouter l’illusion de la viralité : les contenus les plus partagés sont aussi les plus fun ou ceux jouant sur l’affect : le pathos est roi. Il est difficile pour une institution de s’engager sur ce terrain glissant.

L’effet « bouteille à la mer ». Les publications de la collectivité sont rapidement noyées dans les flux. Le début d’une présence sur les médias sociaux, c’est comme lancer des bouteilles à la mer en espérant que les messages trouvent leurs cibles seuls.

On remarque également très peu d’interactions sur les pages officielles portant le nom d’une collectivité (les pages thématiques étant nettement plus actives). Il peut y avoir différentes raisons à ce type de phénomène : manque de publications vraiment intéressantes, un public ciblé qui n’est pas le public touché ; on a rarement le public que l’on souhaite avoir.

Vers de nouvelles pratiques ?

L’usage de la veille est primordial pour comprendre ce qu’il se dit sur et autour d’une collectivité, vous trouverez sur votre chemin de nombreux blogs locaux et des citoyens très actifs sur le web. Mais la veille a d’autres avantages primordiaux :

  • identifier les leaders d’opinion et les citoyens actifs en ligne sur le territoire ;
  • surveiller la réputation de la collectivité ;
  • anticiper les futurs débats et sujets à traiter, ainsi que les rumeurs ;
  • s’assurer de la bonne compréhension des actions de la collectivité.

Une nouvelle pratique serait de ne plus attendre que les citoyens aillent vers la collectivité, mais que l’institution aille vers ses administrés. Il ne s’agirait plus de seulement répondre aux commentaires, mais de s’insérer dans les conversations en utilisant la veille précédemment citée.

Les collectivités restent encore très autocentrées sur leurs propres contenus, au mieux il arrive que l’une d’entre elles partage les articles de la presse locale. Dans une démarche de promotion du territoire et de mise en valeur des citoyens actifs, il serait bon de relayer de temps en temps les articles des habitants du territoire s’ils sont pertinents afin de mettre en valeur les « initiatives citoyennes ».

Il est important de ne pas se limiter à Facebook et Twitter, mais de rechercher des outils participatifs permettant de répondre à la mission de mobilisation des citoyens. Nous parlons de vraies mobilisations, pas des jeux concours – qui par définition sont orientés sur l’appât du gain individualiste des participants- ce n’est pas une démarche que l’on attend d’une collectivité. Il est important d’utiliser les outils qu’offre le web pour créer des applications d’intérêt général. Pour illustrer ce propos, on peut se tourner vers l’initiative de la ville de Mérignac qui a ouvert récemment « une carte des requêtes ».

La carte des requêtes de la ville de Mérignac
La carte des requêtes de la ville de Mérignac

La question de la temporalité

Il existe une grande problématique pour les agents territoriaux qui seront en charge de l’animation d’une présence sur les médias sociaux. Il s’agit de la gestion de la temporalité, à trois niveaux :

  • une chaine de validation lente, mais dont on peut accélérer le processus en expliquant bien les enjeux ;
  • la réactivité en cas de retours ou de questions des internautes, notamment le soir et le week-end ;
  • la récupération des heures travaillées le soir et le week-end, le secteur public n’étant pas très flexible.

Il n’y a pas (encore) de solution clé en main, mais le sujet est souvent sur la table.

Une disparité entre collectivité

Alors que les communes et les régions constituent des territoires clairement identifiés par le citoyen, ce n’est pas le cas pour les conseils généraux et les communautés de communes dont les missions sont encore assez méconnues. Les villes semblent avantagées sur les réseaux sociaux car elles sont les premières génératrices d’un sentiment d’appartenance à un territoire, une communauté.

Concrètement et pour terminer cet article, les médias sociaux offrent la possibilité d créer un véritable espace de partage de la vie publique, chose impossible dans les frontières d’un monde physique.

Pour recréer du lien, il est du devoir du communicant public de faire la démarche d’aller vers le citoyen et de ne pas attendre l’inverse. Dire quelque chose c’est bien, s’assurer qu’elle est entendue et comprise en est une autre et cela se fait par le biais de la veille.

On peut toutefois se demander si les collectivités seront capables un jour de vraiment lacher le contrôle de l’information (pour créer un véritable espace démocratique en ligne). Qu’en pensez-vous ?

Sources :

Illustration : « La liberté guidant le peuple » de Eugène Delacroix.

A propos de l'auteur

Jean-Daniel Boutet

Jean-Daniel Boutet

Véritable passionné des usages et des enjeux du web, je m'intéresse particulièrement à la communication sur les médias sociaux. Depuis la réalisation d'une étude de stratégie de présence sur les médias sociaux au conseil général de la Vienne, je veille et j'alimente un blog sur l'usage des médias sociaux en collectivité. Suite à la rédaction d'un mémoire sur ce même thème, j'ai également été amené à intervenir lors des carrefours numériques du Forum Cap'Com 2011 (forum annuel de référence des communicants publics).

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