Je ne peux qu’aimer Le Monde de Facebook

Ce long billet concerne la difficile adéquation du travail d’un journaliste traditionnel soumis à une déontologie à l’écosystème de Facebook qui propose un bouton d’interaction unique. Ce fameux bouton « J’aime » demeure fortement connoté émotionnellement quant à la réaction des lecteurs au sujet des articles écrits par les rédactions et diffusés via Facebook.

Dans la première partie, j’aborderai l’affaire qui m’a incité à écrire à ce sujet.

Dans la deuxième partie, plutôt que d’analyser les deux articles lus, je tente plutôt d’expliquer en quoi ce sujet a des conséquences directes sur mon activité. En tant que community manager dans une grande chaîne nationale et sur un site high tech reconnu comme Clubic, je suis assez bien placé pour comprendre les implications que peuvent avoir les changements de l’algorithme Edgerank de Facebook, ainsi que la nature même de ce réseau social, sur la visibilité des publications. Il est donc normal d’être vigilant à ce type d’évènement  d’en comprendre les implications, voir d’anticiper,  pour s’adapter au mieux à la situation pour en tirer le meilleur parti.

 

Tout a commencé… par un tweet

Il y a quelques jours j’ai été surpris de constater que j’avais été mentionné sur Twitter par @Lemondefr.

 

Première réaction : un peu de fierté.

Après tout, Le Monde est une institution pour toute personne travaillant dans les médias, sans compter que leur compte Twitter est l’un des seuls à dépasser le million d’abonnés. Cerise sur le gâteau,  en fait, je ne faisais même pas partie de leurs abonnés ! J’en déduis qu’ils ont un outil de veille efficace (encore que j’ai cherché un peu d’autres twittos  interpellés qui auraient pu tweeter ce lien dans leur historique, sans succès flagrant…)  ou que l’un de mes abonnés est proche de l’équipe digitale du quotidien. Bref.

 

Deuxième réaction :  mais à quel article réagissent ils ?

Il ne me faut pas longtemps pour repenser à l’article « Pourquoi LeMonde.fr s’attaque-t-il à Facebook… sur Facebook ? » édité sur la rubrique le plus du Nouvel Observateur et que j’ai tweeté quelques heures avant. Le reply sur Twitter vient le démontrer. En fait quand je vois le tweet, je n’ai pas le temps de lire la réponse et indique que j’irai lire et partager leur réponse (un peu plus tard).

 

L’article du Nouvel Observateur

Cet article relate que Le Monde a publié sur sa page Facebook une image à destination de Facebook et une explication en dessous pour leurs fans indiquant les dernières modifications de l’algorithme de Facebook et leurs incidences sur la visibilité des publications. Un sujet qui a été constaté par un certain nombre de community managers, de marketeurs et de blogueurs ces dernières semaines.

 Capture de la page Facebook du site du « Monde » le 8 octobre 2012 (Le Plus) Source image

L’auteur explique le contexte assez bien, d’ailleurs, et indique clairement qu’il n’apprécie pas la démarche du quotidien car il estime que l’on est sur Facebook et que c’est par conséquent ces derniers qui sont seuls maîtres à bord de leur plateforme (je schématise un peu mais c’est un peu ça).

 

Le Monde répond

Dans un article  intitulé « Facebook : son nouvel algorithme, son ciblage, et notre ligne éditoriale« , Le Monde explique le fonctionnement de l’Edgerank à son tour et les implications que cela engendre sur la visibilité et l’interaction des articles écrits par les journalistes et relayés sur la plateforme. Le quotidien insiste sur la difficulté face à des publications plus triviales.

« oui, c’est sûr, la photo d’un petit chat mignon ou de Barack Obama buvant une bière sera plus « aimée »qu’un lien sur les derniers massacres en Syrie. »

Il finit sur le ciblage payant des publications proposé par Facebook et qui sont rarement pertinentes pour un éditeur généraliste souhaitant communiquer au plus grand nombre.

 

Mon analyse

Avant d’aller plus loin, je vous conseille vivement de lire les 2 articles précédents qui éclaireront la connaissance des personnes les moins expertes en la matière (si vous ne savez pas que moins d’un quart de vos fans voient vos publications Facebook, suivez mon conseil)

 

La déontologie du journaliste

Je travaille au quotidien avec de nombreux journalistes. Le journalisme est l’activité qui consiste à collecter, rassembler, vérifier et commenter des faits pour les porter à l’attention du public à travers les média. Leur travail consiste donc à reporter des faits, qu’ils soient sources de bonnes ou de mauvaises nouvelles

La déontologie du journaliste proscrit, et on le comprend aisément, « la déformation des faits » afin d’être le plus impartial possible, le plus factuel. Pour conserver la confiance des lecteurs, le quatrième pouvoir se doit de s’astreindre à cette déontologie. Sans cela, il n’y a plus d’éthique, une confiance brisée et donc une disparition des abonnés. Il n’est pas dit que toute la presse et l’ensemble des média se doivent d’être irréprochables déontologiquement, mais il est important qu’il reste  un certain nombre de groupes de presse à même de reporter des faits importants, graves, sérieux ou méconnus. En somme, des journalistes sérieux appliquant cette fameuse déontologie.

« En annonçant de bonnes nouvelles, on se rend aimable. En en annonçant de mauvaises, on se rend important : choisissez. » de Henry de Montherlant source

 

L’impact de l’intitulé du bouton

Si l’on choisit d’être sérieux et important comme medium, il est donc essentiel d’aborder également les sujets qui fâchent, ceux qui font mal, les faits que les gens ne vont pas aimer, qu’ils refuseront d’aimer. Or le principal outil de Facebook, le plus simple et donc le plus puissant car demandant moins d’effort qu’un commentaire,  est le bouton avec l’intitulé « J’aime ». On ne peut qu’aimer, on ne peut pas désapprouver, haïr ou d’un clic indiquer une autre émotion. En tout cas pas encore facilement (je reviens dessus plus loin). L’air de rien, cela change fondamentalement le comportement d’un membre Facebook face à la lecture d’une mauvaise nouvelle sur laquelle on vient afficher un bouton vecteur d’une émotion contraire à celle qu’il développe en lisant l’article. Cela est autant valable sur l’article d’un site ayant implémenté le bouton de recommandation que sur la plateforme elle-même.

 Exemple typique de l’article difficile à aimer

Bien sur, une bonne partie des membres de Facebook comprend que derrière l’intitulé « j’aime », c’est un partage qui est généré sur leur journal. Cependant, il n’en reste pas moins que cela peut paraître étrange et dérangeant d’avoir des stimuli contradictoires. Dans ce genre de situation, le cerveau reçoit une information et on lui propose une action contraire à l’émotion que la majorité des gens aura s’ils sont de vrais fans.  Résultat : peu d’utilisation de ce bouton dans ce cas précis car il n’y a tout simplement pas d’adéquation entre l’émotion ressentie et le choix d’émotion à partager.

Facebook permet toutefois de choisir entre l’intitulé « J’aime » et « Je recommande ». A noter qu’il faut cependant faire un choix pour l’ensemble d’un site… Maintenant, autant le bouton « j’aime » peut être déplacé sur certaines publications, autant il peut avoir du sens sur d’autres types de contenus ou d’articles comme l’exemple ci dessous.

 

Que peuvent faire les éditeurs ?

Il n’y a toujours pas de solution miracle qui marche à tous les coups (si vous connaissez, je suis preneur !)

Maintenant, il est possible de sensibiliser les rédactions à ces problématiques pour générer des titres plus  compatibles avec les réseaux sociaux, en particulier avec Facebook. Si l’on reprend l’exemple ci dessus, le rédacteur aurait pu intituler son article « Essence : une troisième semaine de hausse qui ne va pas plaire aux automobilistes ». En tant qu’automobiliste, je me serais reconnu dans ce titre et j’aurais été sans doute plus enclin à cliquer sur le bouton.

Autre possibilité : avoir un à plusieurs champs dans l’interface de saisie du rédacteur pour mettre un titre et d’autres données dédiées à Facebook (un meta open graph, protocole ouvert géré identiquement chez Google+, pour info) . Le titre ne serait pas visible sur le site de l’éditeur mais uniquement sur la publication faite suite au clic sur « J’aime » dans Facebook. Cette solution demande donc une double saisie et ne fournit pas de solution satisfaisante sur le site de l’éditeur au niveau du titre affiché.

Il y a bien entendu beaucoup d’autres choses à savoir et à effectuer pour animer et faire croître une communauté sur un forum ou un réseau social avec ses spécificités, ses us et coutumes. A tel point que cela à engendré de nouveaux métiers comme le mien. En tant que spécialiste sur les nouveaux médias il m’incombe de former et d’être en support auprès des journalistes sur les bonnes pratiques  pour optimiser les résultats sur les réseaux sociaux, espace en perpétuel mouvement. La veille y a tout son sens à condition qu’elle soit partagée et filtrée aux bonnes personnes.

 

Que va faire Facebook ?

Il est important de signaler qu’initialement, cette plateforme n’était pas destinée à accueillir les marques. Facebook est né dans une université. Les outils en place étaient donc pensés et développés pour les étudiants souhaitant publier des contenus divertissants. Désormais, Facebook possède une plateforme concentrant des membres et des marques dont des groupes de presse, ce qui crée une résistance au changement face aux nouveautés ayant un impact fort sur le fonctionnement de la plateforme. Ce que les marques souhaitent n’est pas forcément bien perçu ou souhaité par les membres, par ailleurs.

Comme cela a été répété à de multiples reprises, Facebook cherche désormais à générer des revenus plus substantiels ce qui explique leur politique d’incitation forte à faire payer pour une visibilité plus accrue. Cette logique et la politique générale de la plateforme vont certainement continuer ainsi. Le réseau de Zuckerberg propose déjà de nombreux formats publicitaires en espérant trouver le saint Graal qui générera des recettes.

Il n’en reste pas moins que les employés de Facebook savent qu’ils doivent satisfaire leurs utilisateurs, leurs actionnaires mais aussi les créateurs de contenus. Sans contenus premium, pas de membres et donc désintérêt des actionnaires.

Facebook a beaucoup oeuvre pour les marques en leur proposant les pages, les statistiques et de nombreux widgets qu’ils ont mis à disposition, en s’inspirant leurs concurrents. Il y a un an, à l’occasion du F8, Facebook annoncé de nouvelle fonctionnalités dont ont pu profiter certaines marques lors du lancement. C’est un sujet assez technique (peut être trop d’ailleurs) mais cela permet à des développeurs de marques / applications de proposer des interactions plus intégrées et personnalisables avec Facebook. L’exemple le plus parlant est celui du frictionless sharing sur des services musicaux. En somme, lorsque vous écoutez un morceau avec Spotify, ce dernier publie automatiquement le morceau sur votre journal Facebook (après une première autorisation demandée par l’app Facebook du service). Ce service a été adapté sur des services de vidéo (Dailymotion) ou chez des éditeurs de contenus texte (The Guardian). Facebook a  communiqué récemment pour annoncer un affinement de ce système considéré par certains membres comme du spam.

Avec F8, Facebook annonçait que toute marque pouvait désormais créer ses propres boutons (sur son site + visible dans certains modules Facebook).

User Action Object

Un an après F8, je ne crois pas trop me mouiller en affirmant qu’assez peu de sociétés ont vraiment profité de ces nouveautés. Sans doute parce que cela demande plus de travail que d’implémenter un simple bouton « J’aime ». Une autre raison pourrait être que Facebook aurait dû bien mieux accompagner les marques pour leur expliquer tout le potentiel de ces annonces. On doit cependant reconnaître  qu’à l’instar de Twitter, Facebook a tenté d’accompagner les journalistes durant cette année. 

 

Que devrait faire Facebook ?

Une partie du problème rencontré par les sites éditoriaux « sérieux » se résoudra grâce à une meilleure appropriation des outils mis à leur disposition par Facebook. Cela dit, il faudra également que le réseau social  mette en place des solutions pour rééquilibrer la visibilité de certaines publications.
 
Voici quelques pistes :
  • Augmenter la visibilité des publications faites par les pages Facebook des media traditionnels (identifiées préalablement)
  • Dès la souscription à la page, demander la fréquence de visibilité auprès de l’abonné.
  • Proposer, en fonction du type d’activité, de choisir une action spécifique à afficher sur les publications liées à une marque :
    • Pour un e-commerçant, cela pourrait être « Je veux » (cela rejoint un peu l’une de leur dernière annonce)
    • Pour un site media, cela pourrait être « Je désapprouve« 
    • Etc…
  • Diminuer la visibilité des publications entièrement écrites en majuscule
  • Diminuer la visibilité des publications du type « Aime si tu es d’accord, commente si tu n’es pas d’accord« 
  • Augmenter la visibilité des pages ayant indiqué une url de site 
  • Augmenter la visibilité des publications dans lesquelles l’auteur répond
  • Augmenter la visibilité des publications pointant vers une url contenant des meta open graph propres et indiquant que le contenu est récent. En parallèle, diminuer les contenus directement uploadés dans Facebook et qui sont peu renseignés au niveau meta (tag, description et url pour une image/video par exemple + champs supplémentaires pour marque avec contenu premium par exemple).

L’ensemble de ces propositions pourraient être payantes, soumises à condition ou gratuites. L’essentiel étant que toutes les parties y trouvent leur compte. Selon moi, le fait qu’il soit nécessaire de payer avant même d’avoir récupéré un trafic substantiel, vérifié et rentable risque d’être mal perçu par les marques. Le ROI en somme. Or un système à la performance aurait sans doute bien plus de sens pour la majorité des marques qui hésitent encore à utiliser l’offre publicitaire foisonnante de Facebook. 

 

Conclusion

Il me parait un peu simpliste et peu constructif d’avoir un avis tranché sur la question du ROI et des media. Actuellement un malaise évident a lieu entre Facebook et les rédactions traditionnelles de journalistes. Il appartient aux éditeurs et à Facebook d’expliquer leur situation, leurs valeurs et objectifs afin de trouver des solutions gagnant-gagnant. Je ne doute pas que ces discussions soient déjà en cours. J’espère avoir pu apporter un nouvel  éclairage et quelques solutions intéressantes à propos de cette problématique. Et je ne doute pas que mon lectorat aura d’autres idées à soumettre tant aux éditeurs qu’à Facebook.

La prochaine fois je vous parlerai des Twittos qui interpellent Twitter dans leur TL (leur auditoire en fait) ou d’autre chose.

A propos de l'auteur

Raphaël Hunold

Raphaël Hunold  (13 articles)

Community manager à M6Web pour les portails Clubic.com, Jeuxvideo.fr et Turbo.fr. Travaille dans le web depuis plus de 10 ans (intégrateur, webmasteur, chef de projet mobile). Veilleur actif sur les domaines suivants : innovation, mobile, communauté, start up, mobile

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