Greenpeace vs Lego, un bad buzz ? Non un artefact de communication !

A l’occasion de la nouvelle attaque de Greenpeace contre Shell à travers Lego, j’ai pu exprimer à nouveau tout le mal que je pensais de la stratégie de Greenpeace dans une stratégie de bad buzz.  Si je rappelle l’ensemble des campagnes de cyberwar de Nestlé à Lego en passant par Mattel et Volkswagen, je viens de me rendre compte que j’avais tout faux en parlant avec Tom Liacas qui a beaucoup plus d’expérience dans ce domaine. Il m’a ouvert les yeux sur le fait que j’appliquais une mauvaise clé de lecture à l’ensemble de ces cas, et que leur logique de communication était tout à fait différente. Je vous explique pourquoi !

I. Le bad buzz comme outil de lobbying indirect

La façon dont je voyais le bad buzz de Greenpeace était un peu à la manière du cas Nestlé.  Pour rappel, le cas Nestlé était celui-ci :

Les facteurs de succès avaient été la mise en contexte (rappel de l’usage imagerie à savoir le « Crac connu de tous, rappel d’un univers connu, le bureau, etc.) et la capacité à indigner fortement tout en pointant du doigt un ennemi qu’il faut attaquer.

On laisse ensuite faire la foule pour exercer une pression sur la marque ou sur les politiques afin que ceux-ci obtempèrent face à la pression. La vidéo à but de bad buzz est donc utilisée comme déclencheur. 

Ce schéma est de plus en plus connu et utilisé par des ONG pour sensibiliser et faire bouger les comportements. On peut ainsi pointer :

1. La BD de Pénélope Bagieu contre Intermarché 

Qui respecte exactement la même trame : un comportement (la pêche en eaux profondes) d’une entreprise (Scapêche) pose problème à une ONG (Bloom). Celle-ci embourbée dans son lobbying direct va se servir de la foule à travers un élément émotionnel (la BD)  tout en pointant du doigt un acteur désigné comme ennemi (Intermarché) 

Elle va ensuite jouer sur l’effet de foule pour transformer l’occasion (une pétition) pour remporter le lobbying direct (qu’elle perdra) ou pour faire plier Intermarché par une bataille d’image (qu’elle remportera)

2. Les étiquettes de Primarck 

Un comportement (l’exploitation) d’une entreprise (Primarck) pose problème à une ONG (inconnue). Ce comportement aurait pu être dénoncé à l’occasion de l’effondrement de l’immeuble au Bangladesh, mais tous les acteurs du textile ayant été pris la main dans le sac, cela ne s’est pas passé. Elle va donc avoir l’idée de placer des fausses étiquettes sur des vêtements Primarck (surprise et indignation) en attendant que ça morde et que les médias s’empreignent du sujet.

 Quand les médias ont mordu à l’hameçon devant l’histoire « WTF », il suffit d’attendre le moment où cela retombe pour rebondir sur un deuxième cas (factice de la part d’une militante découverte en 3 secondes grâce à ses traces numériques)

3. Barakacity contre M6

Pour Barakacity, l’entreprise est encore plus audacieuse. Un comportement (l’organisation d’un jeu dans un pays où un génocide a lieu) d’une entreprise (M6) pose problème à une ONG (Baraka City). Plutôt que de trouver un message qui indignera la population, elle va compter uniquement sur sa communauté proche. Il n’y a donc plus besoin d’un élément émotionnel ou d’un fait « surprise » : la démarche, dite de « allons-y comme en 40 » est de compter sur un groupe de fidèle à la cause (1000 personnes) et de faire du bruit.

« Au final, quelqu’un nous écoutera ». Et c’est ce qui s’est passé ! Certaines marques partenaires ont obtempéré et certains l’ont payé. De plus, M6 a eu une incapacité à communiquer durant chaque émission de Pékin Express.

Conclusions

Le bad buzz est donc créé grâce à :

  • Un élément émotionnel (BD, Vidéo-choc, etc.)  Il faudra pour ce faire un ennemi connu que l’on pointe du doigt directement. Il faut aussi qu’il y ait une légitimité à cette attaque. 
  • Un élément de surprise qui va mettre en lumière les mauvaises pratiques (le cas de l’étiquette Primarck)
  • Artificiellement où l’on va faire du bruit pour du bruit. Pour ce faire, il faut une communauté très soudée autour d’un but commun, avec beaucoup de convictions et que le but poursuivi soit légitime. Le bruit créé va alors informer un maximum de personnes. Cela a néanmoins très peu de chance de fonctionner.

Sur base de cette typologie, j’ai, à travers les différentes campagnes de Greenpeace, critiqué vivement sa stratégie, car il s’agissait de parodies. Or une parodie ne suscite pas d’émotion autre que le rire. Il n’y avait donc pas d’indignation. De plus, l’entreprise visée n’était pas légitime : pourquoi Barbie alors que tout le monde le fait ? Pourquoi Lego pour viser Shell ? Pourquoi ces deux acteurs alors qu’elles sont des marques aimées ? 

Tom Liacas m’a alors dit que les ONG  travaillaient essentiellement sur base des expériences précédentes et ne savent pas si une expérience va fonctionner ou pas. Du coup, je me suis penché à nouveau sur les cas et j’y ai trouvé une logique.

II. Le bad buzz comme artefact de communication

Et pour cause, je venais de poster un article sur l’artefact de communication, théorisé comme : « un prétexte matériel ou immatériel qui sert d’appât pour la presse dans un but de visibilité » et les opérations de Greenpeace ne sont qu’un artefact de communication qui servent d’autres objectifs que ceux auxquels que je pensais.

Je pensais que ces opérations avaient pour but de faire plier une marque alors que pour Greenpeace, la marque n’est qu’un prétexte. Plus celle-ci est visible, mieux c’est ; plus elle est aimée, mieux c’est.

  • Lorsque Greenpeace attaque Lego pour son accord avec Shell, elle ne serait ainsi pas dupe quant à la continuation de l’accord, car l’objectif déguisé est en fait de s’imposer dans l’agenda setting pour que l’on parle du forage en Arctique.
  • Lorsqu’elle vise Mattel, elle ne veut pas faire plier Barbie et Ken, elle veut que l’on parle de l’emballage des plastiques. 

Elle se ménage alors une part de cerveau disponible dans les intellects pour concrétiser l’action sur le terrain, à coup de Promo Girl/Boy. Une vision finalement très marketing qui n’est pas sans rappeler l’âge d’or des années 70 où l’on assommait les gens d’awareness à la TV pour concrétiser l’achat à coup de promotion sur le point d’achat/POS. 

Le bad buzz ne devient plus qu’un prétexte, à l’instar des faux bad buzz. L’objectif n’est plus de faire changer la société et d’assurer le lobbying, mais de recruter des gens sur des listes de donation et dans des pétitions.

La réussite n’est plus la bataille finale au cours de laquelle la marque visée va obtempérer sous les coups de l’ONG, mais le nombre de vues de la vidéo (un succès pour la vidéo Greenpeace), le nombre de clics, les points gagnés en notoriété spontanée et le pognon engrangé.

Le bonus est la mise sur la scène publique de la problématique du moment. Finalement, Greenpeace fait la même chose que les autres marques : elles comptabilisent les KPI et veut que « ça buzz ».

Conclusions

Il ne m’appartient pas de dire si la stratégie est bonne, mais cela change en tout cas ma manière d’étudier ces cas. Cela change aussi la façon dont les marques visées par l’ONG doivent parfois évaluer la situation. Cela fait néanmoins très communication à la papy, même si c’est également une vision Slow PR qui a le mérite d’être pensée.

Vaut-il mieux tout lancer pour faire un bad buzz et finir par lasser la population sans risque de succès final ou investir dans une campagne qui va générer des dons tout en mettant le débat de société au centre de l’œil médiatique ?

La boîte à outils de l’activisme en guerre grandit et à mesure que celle-ci grandit, le nombre de cas se multiplient. Les 3 cas de bad buzz à but de lobbying indirect ont tous eu lieu au cours de l’année écoulée et il y a fort à parier que cela est loin d’être fini.

Un bad buzz bien pensé a permis à de petites structures comme Barakacity et Bloom de sortir leur épingle du jeu.

Toutefois, Bloom a réussi à gagner une guerre, mais pas la bataille puisque la flotte qui n’appartient pas à Intermarché continue à pêcher en eaux profondes tranquillement sans qu’elle n’ait plus la moindre lattitude.

Quant à Barakacity, si elle a réussi à convertir certains partenaires, M6 n’a jamais lâché le morceau.  Signe que le bad buzz rend grand ce qui est petit, mais ne transforme pas ce qui est petit en quelque chose de grand.

La starification grâce à la lumière du buzz pour le quidam ou pour l’entreprise est aussi éphémère que celle-ci, signe que Greenpeace peut-être compris une partie de son succès.

 

A propos de l'auteur

Nicolas Vanderbiest

Nicolas Vanderbiest  (10 articles)

Nicolas Vanderbiest est assistant et doctorant à l'Université Catholique de Louvain sur les crises de réputation des organisations sur le World Wide Web. Il tient un blog sur le sujet (www.reputatiolab.com) et publie les mémoires des crises 2.0, un observatoire qui reprend statistiquement toutes les crises 2.0 qui ont eu un écho sur la scène médiatique francophone depuis 2004.

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